La gouvernance de l'IA

#IA Construire ensemble un futur positif

Étape 3 sur 3
Publication 15/07/2021 - 15/12/2022
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  • +Une jambe contre le mur frais, une autre Ă©tendue sur le lit, Alexandre consulte un Ă©cran A4 protĂ©gĂ© par une coque sculptĂ©e de cistes. C’est son album de souvenirs. Il se repasse en boucle l’instant de sa conception : l'ovule, colorisĂ© dans des tons bleu pastel, rencontre une dizaine de petits spermatozoĂŻdes dans les tons jaune morne. Le GIF se termine sur le flagelle du gagnant cerclĂ© de violet. Il s'interroge, se demande si dĂ©jĂ  en lui, il avait cette phobie ; aucun gène porteur n'avait Ă©tĂ© identifiĂ©, les filtres n’avaient pas arrĂŞtĂ© la semence dĂ©ficiente, on avait peut-ĂŞtre mal sĂ©lectionnĂ© l’ovule maternel… Il pourrait passer comme sain Ă  l’œil non Ă©clairĂ©. Sarah le trouve normal, enfin, elle ajoute souvent avec un petit air crâneur qui lui plaĂ®t : « Le Seul normal de ce putain de collège. » Il a hâte de la revoir. Ses parents sont partis Ă©tudier le chamanisme en AmĂ©rique du Sud. La voix de sa mère lui vrille les tympans :
  • +
  • +- Sacha ! Sacha !
  • +
  • +Il regarde encore dĂ©filer la sĂ©lection de clichĂ©s en provenance du cloud mĂ©moriel de ses parents ; beaucoup de clowneries, des conception’s day, son premier jour de chaque nouvelle annĂ©e scolaire et puis lui et sa petite sĹ“ur normale, qu'on lui avait collĂ© dans les bras Ă  la sortie de la maison des naissances, il avait 6 ans. Ensuite, il est souvent avec elle sur les photos, il arrĂŞte sa consultation et repose l'objet sur son Ă©tagère presque vide. Il caresse les coupes gagnĂ©es tout au long de sa jeune carrière de nageur, attrape la dernière, semble la soupeser : « Jeux nautiques 2050 ». Il sait qu’il ne restera plus longtemps en tĂŞte des courses, bientĂ´t, comme en tout, les connectĂ©s le surpasseront : avec le dĂ©blocage automatisĂ© d’adrĂ©naline ou le coaching en direct. Lui Ă©tait dans sa course et visait le dĂ©passement de lui-mĂŞme, au-delĂ  des victoires qu’il remportait dans sa tĂŞte pour les non-connectĂ©s, c’était Ă  lui-mĂŞme qu’il se mesurait Ă  chaque course.
  • +
  • +- Sacha ! Sacha ! La voix haut perchĂ©e de sa mère se casse sur la rĂ©pĂ©tition.
  • +
  • +Le reste de la conversation ne lui est pas encore audible mais il sait que la patience maternelle a ses -très proches- limites alors il replace rapidement les bibelots bien droits sur son Ă©tagère, son album de vie numĂ©rique dans le tiroir sur le cĂ´tĂ© de son lit et descend tranquillement les marches de leur duplex. La lumière naturelle entre par une large bande de carreaux de verre qui courent le long du mur ceinturant la pièce Ă  vivre. Autour du bar, dans la cuisine amĂ©ricaine, ouverte sur un grand salon aux murs vides, les parents d’Alexandre conversent Ă  voix basse.
  • +
  • +- Ce gosse ! S’il Ă©tait connectĂ© comme​ LĂ©onia, on n’aurait pas ce problème d’autoritĂ© rĂ©current. Il faut lui rĂ©pĂ©ter les choses dix fois. Il m’épuise.
  • +
  • +Ă€ cĂ´tĂ© de sa mère habillĂ©e d’un tailleur en patchwork de tissus Ă©ponge orange, une jolie blondinette en robe rose sumac sirote son smoothie Ă  la pĂŞche de vigne avec sa paille en inox. Elle regarde dans le vague, comme si aucun son ne l’effleurait et pourtant, elle insère sa petite phrase dans la conversation.
  • +
  • +- J’ai rĂ©pondu Ă  mon premier rappel de petit dĂ©j’, moi !
  • +
  • +Les adultes ne font pas cas de ses paroles et poursuivent. Le père est un peu avachi sur son tabouret mais il porte fièrement ses abdos de quarantenaire entretenu. Son slip bleu change de teinte progressivement ; c’est un de ces modèles qui rĂ©gulent la tempĂ©rature.
  • +
  • +- La pathologie de Sacha est rare, c’est vrai que c’est difficile Ă  assumer d’imaginer qu’il ne peut pas se dĂ©velopper au mĂŞme rythme que les autres, qu’on ne peut pas lui programmer ses rappels de lavage de dents, qu’il ne sait toujours pas plier correctement une chemise alors que LĂ©onia (!) sait dĂ©jĂ  plier les serviettes de table de 128 manières artistiques… mais il y a encore beaucoup de non-pluggĂ©s Ă  15 ans !
  • +
  • +LĂ©onia, qui a pris le commentaire de son père comme un compliment, commence Ă  faire un origami avec sa serviette pour lui donner la forme finale d’un dauphin sautant. Personne ne s’intĂ©resse Ă  la succession de ses gestes experts.
  • +
  • +- Ton discours rassurant, tu pouvais me le resservir chaque annĂ©e mais lĂ , j’ai eu le lycĂ©e la semaine dernière ; je n’ai pas pensĂ© Ă  t’en parler : il sera le seul non-connectĂ© et il nous demande un supplĂ©ment pour les frais qu’entraĂ®nent son accueil dans le mĂŞme Ă©tablissement que les autres.
  • +
  • +Lasse de jouer avec son dauphin qui ne tient pas Ă  ses manipulations post-pliage, la fillette a repris son air vide et mâchonne un pancake tartinĂ© de confiture d’abricot maison.
  • +
  • +- Comment ça le dernier ? Il y a au moins sa camarade lĂ , qui vient Ă  la maison depuis 2 ans, Sarah je crois, elle avait l’air dĂ©cidĂ© Ă  accompagner Sacha jusqu’en terminale.
  • +
  • +- Ils Ă©taient encore une douzaine en 3ème et bien voilĂ , on y est, c’est le dernier. Ils m’ont mĂŞme conseillĂ© de lui trouver un cours particulier pour les semaines d’immersion-continue car ils ne le prendront pas en charge. Cette annĂ©e les secondes passent une semaine sur Mars et une semaine sur un campus Ă  Ouagadougou. Il faudra bien qu’il se dĂ©cide avant ses 25 ans ! Après, de toute façon, c’est obligatoire.
  • +
  • +La conversation se met en pause Ă  l’entrĂ©e d’Alexandre. Il attrape 3 pancakes dans l’assiette commune, les arrose de miel et va s’asseoir dans le canapĂ©, dos au comptoir.
  • +
  • +Dans le silence d’apparence sereine, il lance.
  • +
  • +- Je ne suis pas sourd, vous savez. Ce n’est pas la peine de vous arrĂŞter de parler quand j’arrive. C’est quoi cette histoire, Sarah n’est plus non-pluggĂ©e ?
  • +
  • +- On suppose ça avec ton père Ă  cause d’un coup de fil du lycĂ©e, que j’ai reçu la semaine dernière mais c’est peut-ĂŞtre une erreur ou une façon de parler, je ne sais pas…
  • +
  • +Alexandre repose son assiette vide dans le lave-vaisselle et va chercher sa besace accrochĂ©e Ă  une patère dans l’entrĂ©e.
  • +
  • +- Je ne vais pas attendre la rentrĂ©e pour savoir ; dès qu’elle pose le pied Ă  Marseille, j’irai la voir ! Sinon, je pensais aller m’entraĂ®ner ce matin le long de la digue et manger un bout avec grand-mère. Cet après-midi je travaille au fournil et je termine par mon entraĂ®nement au Cercle, Ă  19h00… Enfin, si vous n’aviez rien prĂ©vu pour moi.
  • +
  • +- Si tu avais mis tes lunettes ce matin, tu saurais que tu as ton rendez-vous avec Claire Ă  11h00.- Ahan… La psy aux 5000 j’aime… Bah maintenant c’est notĂ©, je passerai voir « Claire » Ă  11h00. A ce soir.
  • +
  • +- Tes lunettes Sacha, tu oublies tes lunettes !
  • +
  • +- Ah oui, merci maman.
  • +
  • +Alexandre les attrape de la main tendue de sa mère, les pose sur son nez et leur fait un beau sourire composĂ©, le temps que la porte d’entrĂ©e finisse de se refermer. Il les Ă´te dès qu’il arrive dans la rue. Elles lui proposaient de changer d’itinĂ©raire car celui qu’il avait initiĂ© Ă©tait plus long. IrritĂ©, il les balance au fond de son sac de sport espĂ©rant vainement qu’elles s’y brisent irrĂ©mĂ©diablement.
  • +
  • +Eterlutisse
  • +gid://initial/Decidim::Hashtag/4/_IA
  • +Une jambe contre le mur frais, une autre Ă©tendue sur le lit, Alexandre consulte un Ă©cran A4 protĂ©gĂ© par une coque sculptĂ©e de cistes. C’est son album de souvenirs. Il se repasse en boucle l’instant de sa conception : l'ovule, colorisĂ© dans des tons bleu pastel, rencontre une dizaine de petits spermatozoĂŻdes dans les tons jaune morne. Le GIF se termine sur le flagelle du gagnant cerclĂ© de violet. Il s'interroge, se demande si dĂ©jĂ  en lui, il avait cette phobie ; aucun gène porteur n'avait Ă©tĂ© identifiĂ©, les filtres n’avaient pas arrĂŞtĂ© la semence dĂ©ficiente, on avait peut-ĂŞtre mal sĂ©lectionnĂ© l’ovule maternel… Il pourrait passer comme sain Ă  l’œil non Ă©clairĂ©. Sarah le trouve normal, enfin, elle ajoute souvent avec un petit air crâneur qui lui plaĂ®t : « Le Seul normal de ce putain de collège. » Il a hâte de la revoir. Ses parents sont partis Ă©tudier le chamanisme en AmĂ©rique du Sud. La voix de sa mère lui vrille les tympans :
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  • +- Sacha ! Sacha !
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  • +Il regarde encore dĂ©filer la sĂ©lection de clichĂ©s en provenance du cloud mĂ©moriel de ses parents ; beaucoup de clowneries, des conception’s day, son premier jour de chaque nouvelle annĂ©e scolaire et puis lui et sa petite sĹ“ur normale, qu'on lui avait collĂ© dans les bras Ă  la sortie de la maison des naissances, il avait 6 ans. Ensuite, il est souvent avec elle sur les photos, il arrĂŞte sa consultation et repose l'objet sur son Ă©tagère presque vide. Il caresse les coupes gagnĂ©es tout au long de sa jeune carrière de nageur, attrape la dernière, semble la soupeser : « Jeux nautiques 2050 ». Il sait qu’il ne restera plus longtemps en tĂŞte des courses, bientĂ´t, comme en tout, les connectĂ©s le surpasseront : avec le dĂ©blocage automatisĂ© d’adrĂ©naline ou le coaching en direct. Lui Ă©tait dans sa course et visait le dĂ©passement de lui-mĂŞme, au-delĂ  des victoires qu’il remportait dans sa tĂŞte pour les non-connectĂ©s, c’était Ă  lui-mĂŞme qu’il se mesurait Ă  chaque course.
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  • +- Sacha ! Sacha ! La voix haut perchĂ©e de sa mère se casse sur la rĂ©pĂ©tition.
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  • +Le reste de la conversation ne lui est pas encore audible mais il sait que la patience maternelle a ses -très proches- limites alors il replace rapidement les bibelots bien droits sur son Ă©tagère, son album de vie numĂ©rique dans le tiroir sur le cĂ´tĂ© de son lit et descend tranquillement les marches de leur duplex. La lumière naturelle entre par une large bande de carreaux de verre qui courent le long du mur ceinturant la pièce Ă  vivre. Autour du bar, dans la cuisine amĂ©ricaine, ouverte sur un grand salon aux murs vides, les parents d’Alexandre conversent Ă  voix basse.
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  • +- Ce gosse ! S’il Ă©tait connectĂ© comme​ LĂ©onia, on n’aurait pas ce problème d’autoritĂ© rĂ©current. Il faut lui rĂ©pĂ©ter les choses dix fois. Il m’épuise.
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  • +Ă€ cĂ´tĂ© de sa mère habillĂ©e d’un tailleur en patchwork de tissus Ă©ponge orange, une jolie blondinette en robe rose sumac sirote son smoothie Ă  la pĂŞche de vigne avec sa paille en inox. Elle regarde dans le vague, comme si aucun son ne l’effleurait et pourtant, elle insère sa petite phrase dans la conversation.
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  • +- J’ai rĂ©pondu Ă  mon premier rappel de petit dĂ©j’, moi !
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  • +Les adultes ne font pas cas de ses paroles et poursuivent. Le père est un peu avachi sur son tabouret mais il porte fièrement ses abdos de quarantenaire entretenu. Son slip bleu change de teinte progressivement ; c’est un de ces modèles qui rĂ©gulent la tempĂ©rature.
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  • +- La pathologie de Sacha est rare, c’est vrai que c’est difficile Ă  assumer d’imaginer qu’il ne peut pas se dĂ©velopper au mĂŞme rythme que les autres, qu’on ne peut pas lui programmer ses rappels de lavage de dents, qu’il ne sait toujours pas plier correctement une chemise alors que LĂ©onia (!) sait dĂ©jĂ  plier les serviettes de table de 128 manières artistiques… mais il y a encore beaucoup de non-pluggĂ©s Ă  15 ans !
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  • +LĂ©onia, qui a pris le commentaire de son père comme un compliment, commence Ă  faire un origami avec sa serviette pour lui donner la forme finale d’un dauphin sautant. Personne ne s’intĂ©resse Ă  la succession de ses gestes experts.
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  • +- Ton discours rassurant, tu pouvais me le resservir chaque annĂ©e mais lĂ , j’ai eu le lycĂ©e la semaine dernière ; je n’ai pas pensĂ© Ă  t’en parler : il sera le seul non-connectĂ© et il nous demande un supplĂ©ment pour les frais qu’entraĂ®nent son accueil dans le mĂŞme Ă©tablissement que les autres.
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  • +Lasse de jouer avec son dauphin qui ne tient pas Ă  ses manipulations post-pliage, la fillette a repris son air vide et mâchonne un pancake tartinĂ© de confiture d’abricot maison.
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  • +- Comment ça le dernier ? Il y a au moins sa camarade lĂ , qui vient Ă  la maison depuis 2 ans, Sarah je crois, elle avait l’air dĂ©cidĂ© Ă  accompagner Sacha jusqu’en terminale.
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  • +- Ils Ă©taient encore une douzaine en 3ème et bien voilĂ , on y est, c’est le dernier. Ils m’ont mĂŞme conseillĂ© de lui trouver un cours particulier pour les semaines d’immersion-continue car ils ne le prendront pas en charge. Cette annĂ©e les secondes passent une semaine sur Mars et une semaine sur un campus Ă  Ouagadougou. Il faudra bien qu’il se dĂ©cide avant ses 25 ans ! Après, de toute façon, c’est obligatoire.
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  • +La conversation se met en pause Ă  l’entrĂ©e d’Alexandre. Il attrape 3 pancakes dans l’assiette commune, les arrose de miel et va s’asseoir dans le canapĂ©, dos au comptoir.
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  • +Dans le silence d’apparence sereine, il lance.
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  • +- Je ne suis pas sourd, vous savez. Ce n’est pas la peine de vous arrĂŞter de parler quand j’arrive. C’est quoi cette histoire, Sarah n’est plus non-pluggĂ©e ?
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  • +- On suppose ça avec ton père Ă  cause d’un coup de fil du lycĂ©e, que j’ai reçu la semaine dernière mais c’est peut-ĂŞtre une erreur ou une façon de parler, je ne sais pas…
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  • +Alexandre repose son assiette vide dans le lave-vaisselle et va chercher sa besace accrochĂ©e Ă  une patère dans l’entrĂ©e.
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  • +- Je ne vais pas attendre la rentrĂ©e pour savoir ; dès qu’elle pose le pied Ă  Marseille, j’irai la voir ! Sinon, je pensais aller m’entraĂ®ner ce matin le long de la digue et manger un bout avec grand-mère. Cet après-midi je travaille au fournil et je termine par mon entraĂ®nement au Cercle, Ă  19h00… Enfin, si vous n’aviez rien prĂ©vu pour moi.
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  • +- Si tu avais mis tes lunettes ce matin, tu saurais que tu as ton rendez-vous avec Claire Ă  11h00.- Ahan… La psy aux 5000 j’aime… Bah maintenant c’est notĂ©, je passerai voir « Claire » Ă  11h00. A ce soir.
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  • +- Tes lunettes Sacha, tu oublies tes lunettes !
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  • +- Ah oui, merci maman.
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  • +Alexandre les attrape de la main tendue de sa mère, les pose sur son nez et leur fait un beau sourire composĂ©, le temps que la porte d’entrĂ©e finisse de se refermer. Il les Ă´te dès qu’il arrive dans la rue. Elles lui proposaient de changer d’itinĂ©raire car celui qu’il avait initiĂ© Ă©tait plus long. IrritĂ©, il les balance au fond de son sac de sport espĂ©rant vainement qu’elles s’y brisent irrĂ©mĂ©diablement.
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  • +Eterlutisse
  • +gid://initial/Decidim::Hashtag/4/_IA
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  • +Une jambe contre le mur frais, une autre Ă©tendue sur le lit, Alexandre consulte un Ă©cran A4 protĂ©gĂ© par une coque sculptĂ©e de cistes. C’est son album de souvenirs. Il se repasse en boucle l’instant de sa conception : l'ovule, colorisĂ© dans des tons bleu pastel, rencontre une dizaine de petits spermatozoĂŻdes dans les tons jaune morne. Le GIF se termine sur le flagelle du gagnant cerclĂ© de violet. Il s'interroge, se demande si dĂ©jĂ  en lui, il avait cette phobie ; aucun gène porteur n'avait Ă©tĂ© identifiĂ©, les filtres n’avaient pas arrĂŞtĂ© la semence dĂ©ficiente, on avait peut-ĂŞtre mal sĂ©lectionnĂ© l’ovule maternel… Il pourrait passer comme sain Ă  l’œil non Ă©clairĂ©. Sarah le trouve normal, enfin, elle ajoute souvent avec un petit air crâneur qui lui plaĂ®t : « Le Seul normal de ce putain de collège. » Il a hâte de la revoir. Ses parents sont partis Ă©tudier le chamanisme en AmĂ©rique du Sud. La voix de sa mère lui vrille les tympans :
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  • +- Sacha ! Sacha !
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  • +Il regarde encore dĂ©filer la sĂ©lection de clichĂ©s en provenance du cloud mĂ©moriel de ses parents ; beaucoup de clowneries, des conception’s day, son premier jour de chaque nouvelle annĂ©e scolaire et puis lui et sa petite sĹ“ur normale, qu'on lui avait collĂ© dans les bras Ă  la sortie de la maison des naissances, il avait 6 ans. Ensuite, il est souvent avec elle sur les photos, il arrĂŞte sa consultation et repose l'objet sur son Ă©tagère presque vide. Il caresse les coupes gagnĂ©es tout au long de sa jeune carrière de nageur, attrape la dernière, semble la soupeser : « Jeux nautiques 2050 ». Il sait qu’il ne restera plus longtemps en tĂŞte des courses, bientĂ´t, comme en tout, les connectĂ©s le surpasseront : avec le dĂ©blocage automatisĂ© d’adrĂ©naline ou le coaching en direct. Lui Ă©tait dans sa course et visait le dĂ©passement de lui-mĂŞme, au-delĂ  des victoires qu’il remportait dans sa tĂŞte pour les non-connectĂ©s, c’était Ă  lui-mĂŞme qu’il se mesurait Ă  chaque course.
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  • +- Sacha ! Sacha ! La voix haut perchĂ©e de sa mère se casse sur la rĂ©pĂ©tition.
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  • +Le reste de la conversation ne lui est pas encore audible mais il sait que la patience maternelle a ses -très proches- limites alors il replace rapidement les bibelots bien droits sur son Ă©tagère, son album de vie numĂ©rique dans le tiroir sur le cĂ´tĂ© de son lit et descend tranquillement les marches de leur duplex. La lumière naturelle entre par une large bande de carreaux de verre qui courent le long du mur ceinturant la pièce Ă  vivre. Autour du bar, dans la cuisine amĂ©ricaine, ouverte sur un grand salon aux murs vides, les parents d’Alexandre conversent Ă  voix basse.
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  • +- Ce gosse ! S’il Ă©tait connectĂ© comme​ LĂ©onia, on n’aurait pas ce problème d’autoritĂ© rĂ©current. Il faut lui rĂ©pĂ©ter les choses dix fois. Il m’épuise.
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  • +Ă€ cĂ´tĂ© de sa mère habillĂ©e d’un tailleur en patchwork de tissus Ă©ponge orange, une jolie blondinette en robe rose sumac sirote son smoothie Ă  la pĂŞche de vigne avec sa paille en inox. Elle regarde dans le vague, comme si aucun son ne l’effleurait et pourtant, elle insère sa petite phrase dans la conversation.
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  • +- J’ai rĂ©pondu Ă  mon premier rappel de petit dĂ©j’, moi !
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  • +Les adultes ne font pas cas de ses paroles et poursuivent. Le père est un peu avachi sur son tabouret mais il porte fièrement ses abdos de quarantenaire entretenu. Son slip bleu change de teinte progressivement ; c’est un de ces modèles qui rĂ©gulent la tempĂ©rature.
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  • +- La pathologie de Sacha est rare, c’est vrai que c’est difficile Ă  assumer d’imaginer qu’il ne peut pas se dĂ©velopper au mĂŞme rythme que les autres, qu’on ne peut pas lui programmer ses rappels de lavage de dents, qu’il ne sait toujours pas plier correctement une chemise alors que LĂ©onia (!) sait dĂ©jĂ  plier les serviettes de table de 128 manières artistiques… mais il y a encore beaucoup de non-pluggĂ©s Ă  15 ans !
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  • +LĂ©onia, qui a pris le commentaire de son père comme un compliment, commence Ă  faire un origami avec sa serviette pour lui donner la forme finale d’un dauphin sautant. Personne ne s’intĂ©resse Ă  la succession de ses gestes experts.
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  • +- Ton discours rassurant, tu pouvais me le resservir chaque annĂ©e mais lĂ , j’ai eu le lycĂ©e la semaine dernière ; je n’ai pas pensĂ© Ă  t’en parler : il sera le seul non-connectĂ© et il nous demande un supplĂ©ment pour les frais qu’entraĂ®nent son accueil dans le mĂŞme Ă©tablissement que les autres.
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  • +Lasse de jouer avec son dauphin qui ne tient pas Ă  ses manipulations post-pliage, la fillette a repris son air vide et mâchonne un pancake tartinĂ© de confiture d’abricot maison.
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  • +- Comment ça le dernier ? Il y a au moins sa camarade lĂ , qui vient Ă  la maison depuis 2 ans, Sarah je crois, elle avait l’air dĂ©cidĂ© Ă  accompagner Sacha jusqu’en terminale.
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  • +- Ils Ă©taient encore une douzaine en 3ème et bien voilĂ , on y est, c’est le dernier. Ils m’ont mĂŞme conseillĂ© de lui trouver un cours particulier pour les semaines d’immersion-continue car ils ne le prendront pas en charge. Cette annĂ©e les secondes passent une semaine sur Mars et une semaine sur un campus Ă  Ouagadougou. Il faudra bien qu’il se dĂ©cide avant ses 25 ans ! Après, de toute façon, c’est obligatoire.
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  • +La conversation se met en pause Ă  l’entrĂ©e d’Alexandre. Il attrape 3 pancakes dans l’assiette commune, les arrose de miel et va s’asseoir dans le canapĂ©, dos au comptoir.
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  • +- On suppose ça avec ton père Ă  cause d’un coup de fil du lycĂ©e, que j’ai reçu la semaine dernière mais c’est peut-ĂŞtre une erreur ou une façon de parler, je ne sais pas…
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  • +Alexandre repose son assiette vide dans le lave-vaisselle et va chercher sa besace accrochĂ©e Ă  une patère dans l’entrĂ©e.
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  • +- Je ne vais pas attendre la rentrĂ©e pour savoir ; dès qu’elle pose le pied Ă  Marseille, j’irai la voir ! Sinon, je pensais aller m’entraĂ®ner ce matin le long de la digue et manger un bout avec grand-mère. Cet après-midi je travaille au fournil et je termine par mon entraĂ®nement au Cercle, Ă  19h00… Enfin, si vous n’aviez rien prĂ©vu pour moi.
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  • +- Si tu avais mis tes lunettes ce matin, tu saurais que tu as ton rendez-vous avec Claire Ă  11h00.- Ahan… La psy aux 5000 j’aime… Bah maintenant c’est notĂ©, je passerai voir « Claire » Ă  11h00. A ce soir.
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  • +- Tes lunettes Sacha, tu oublies tes lunettes !
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  • +- Ah oui, merci maman.
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  • +Alexandre les attrape de la main tendue de sa mère, les pose sur son nez et leur fait un beau sourire composĂ©, le temps que la porte d’entrĂ©e finisse de se refermer. Il les Ă´te dès qu’il arrive dans la rue. Elles lui proposaient de changer d’itinĂ©raire car celui qu’il avait initiĂ© Ă©tait plus long. IrritĂ©, il les balance au fond de son sac de sport espĂ©rant vainement qu’elles s’y brisent irrĂ©mĂ©diablement.
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Auteur de la version
author-avatar Samuel Capitant
Version créée le 16/12/2021 09:43