La gouvernance de l'IA

#IA Construire ensemble un futur positif

Étape 3 sur 3
Publication 15/07/2021 - 15/12/2022
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Extrait de Marseille 2.0

16/12/2021 09:43  

Une jambe contre le mur frais, une autre étendue sur le lit, Alexandre consulte un écran A4 protégé par une coque sculptée de cistes. C’est son album de souvenirs. Il se repasse en boucle l’instant de sa conception : l'ovule, colorisé dans des tons bleu pastel, rencontre une dizaine de petits spermatozoïdes dans les tons jaune morne. Le GIF se termine sur le flagelle du gagnant cerclé de violet. Il s'interroge, se demande si déjà en lui, il avait cette phobie ; aucun gène porteur n'avait été identifié, les filtres n’avaient pas arrêté la semence déficiente, on avait peut-être mal sélectionné l’ovule maternel… Il pourrait passer comme sain à l’œil non éclairé. Sarah le trouve normal, enfin, elle ajoute souvent avec un petit air crâneur qui lui plaît : « Le Seul normal de ce putain de collège. » Il a hâte de la revoir. Ses parents sont partis étudier le chamanisme en Amérique du Sud. La voix de sa mère lui vrille les tympans :

- Sacha ! Sacha !

Il regarde encore défiler la sélection de clichés en provenance du cloud mémoriel de ses parents ; beaucoup de clowneries, des conception’s day, son premier jour de chaque nouvelle année scolaire et puis lui et sa petite sœur normale, qu'on lui avait collé dans les bras à la sortie de la maison des naissances, il avait 6 ans. Ensuite, il est souvent avec elle sur les photos, il arrête sa consultation et repose l'objet sur son étagère presque vide. Il caresse les coupes gagnées tout au long de sa jeune carrière de nageur, attrape la dernière, semble la soupeser : « Jeux nautiques 2050 ». Il sait qu’il ne restera plus longtemps en tête des courses, bientôt, comme en tout, les connectés le surpasseront : avec le déblocage automatisé d’adrénaline ou le coaching en direct. Lui était dans sa course et visait le dépassement de lui-même, au-delà des victoires qu’il remportait dans sa tête pour les non-connectés, c’était à lui-même qu’il se mesurait à chaque course.

- Sacha ! Sacha ! La voix haut perchée de sa mère se casse sur la répétition.

Le reste de la conversation ne lui est pas encore audible mais il sait que la patience maternelle a ses -très proches- limites alors il replace rapidement les bibelots bien droits sur son étagère, son album de vie numérique dans le tiroir sur le côté de son lit et descend tranquillement les marches de leur duplex. La lumière naturelle entre par une large bande de carreaux de verre qui courent le long du mur ceinturant la pièce à vivre. Autour du bar, dans la cuisine américaine, ouverte sur un grand salon aux murs vides, les parents d’Alexandre conversent à voix basse.

- Ce gosse ! S’il était connecté comme​ Léonia, on n’aurait pas ce problème d’autorité récurrent. Il faut lui répéter les choses dix fois. Il m’épuise.

À côté de sa mère habillée d’un tailleur en patchwork de tissus éponge orange, une jolie blondinette en robe rose sumac sirote son smoothie à la pêche de vigne avec sa paille en inox. Elle regarde dans le vague, comme si aucun son ne l’effleurait et pourtant, elle insère sa petite phrase dans la conversation.

- J’ai répondu à mon premier rappel de petit déj’, moi !

Les adultes ne font pas cas de ses paroles et poursuivent. Le père est un peu avachi sur son tabouret mais il porte fièrement ses abdos de quarantenaire entretenu. Son slip bleu change de teinte progressivement ; c’est un de ces modèles qui régulent la température.

- La pathologie de Sacha est rare, c’est vrai que c’est difficile à assumer d’imaginer qu’il ne peut pas se développer au même rythme que les autres, qu’on ne peut pas lui programmer ses rappels de lavage de dents, qu’il ne sait toujours pas plier correctement une chemise alors que Léonia (!) sait déjà plier les serviettes de table de 128 manières artistiques… mais il y a encore beaucoup de non-pluggés à 15 ans !

Léonia, qui a pris le commentaire de son père comme un compliment, commence à faire un origami avec sa serviette pour lui donner la forme finale d’un dauphin sautant. Personne ne s’intéresse à la succession de ses gestes experts.

- Ton discours rassurant, tu pouvais me le resservir chaque année mais là, j’ai eu le lycée la semaine dernière ; je n’ai pas pensé à t’en parler : il sera le seul non-connecté et il nous demande un supplément pour les frais qu’entraînent son accueil dans le même établissement que les autres.

Lasse de jouer avec son dauphin qui ne tient pas à ses manipulations post-pliage, la fillette a repris son air vide et mâchonne un pancake tartiné de confiture d’abricot maison.

- Comment ça le dernier ? Il y a au moins sa camarade là, qui vient à la maison depuis 2 ans, Sarah je crois, elle avait l’air décidé à accompagner Sacha jusqu’en terminale.

- Ils étaient encore une douzaine en 3ème et bien voilà, on y est, c’est le dernier. Ils m’ont même conseillé de lui trouver un cours particulier pour les semaines d’immersion-continue car ils ne le prendront pas en charge. Cette année les secondes passent une semaine sur Mars et une semaine sur un campus à Ouagadougou. Il faudra bien qu’il se décide avant ses 25 ans ! Après, de toute façon, c’est obligatoire.

La conversation se met en pause à l’entrée d’Alexandre. Il attrape 3 pancakes dans l’assiette commune, les arrose de miel et va s’asseoir dans le canapé, dos au comptoir.

Dans le silence d’apparence sereine, il lance.

- Je ne suis pas sourd, vous savez. Ce n’est pas la peine de vous arrêter de parler quand j’arrive. C’est quoi cette histoire, Sarah n’est plus non-pluggée ?

- On suppose ça avec ton père à cause d’un coup de fil du lycée, que j’ai reçu la semaine dernière mais c’est peut-être une erreur ou une façon de parler, je ne sais pas…

Alexandre repose son assiette vide dans le lave-vaisselle et va chercher sa besace accrochée à une patère dans l’entrée.

- Je ne vais pas attendre la rentrée pour savoir ; dès qu’elle pose le pied à Marseille, j’irai la voir ! Sinon, je pensais aller m’entraîner ce matin le long de la digue et manger un bout avec grand-mère. Cet après-midi je travaille au fournil et je termine par mon entraînement au Cercle, à 19h00… Enfin, si vous n’aviez rien prévu pour moi.

- Si tu avais mis tes lunettes ce matin, tu saurais que tu as ton rendez-vous avec Claire à 11h00.- Ahan… La psy aux 5000 j’aime… Bah maintenant c’est noté, je passerai voir « Claire » à 11h00. A ce soir.

- Tes lunettes Sacha, tu oublies tes lunettes !

- Ah oui, merci maman.

Alexandre les attrape de la main tendue de sa mère, les pose sur son nez et leur fait un beau sourire composé, le temps que la porte d’entrée finisse de se refermer. Il les ôte dès qu’il arrive dans la rue. Elles lui proposaient de changer d’itinéraire car celui qu’il avait initié était plus long. Irrité, il les balance au fond de son sac de sport espérant vainement qu’elles s’y brisent irrémédiablement.

Eterlutisse
#IA

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