La gouvernance de l'IA

#IA Construire ensemble un futur positif

Étape 3 sur 3
Publication 15/07/2021 - 15/12/2022
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  • +BolchoĂŻ-D entra dans la grande salle de confĂ©rence comme il serait entrĂ© dans un autre espace-temps. Les applaudissements et les cris firent trembler l’image projetĂ©e derrière la scène. L’immense image d’un corps, d’apparence aussi rĂ©elle que BolchoĂŻ-D lui-mĂŞme, aurait pu rĂ©sumer Ă  elle seule la Grande Initiative. Ce corps aux contours plutĂ´t fĂ©minins gravitait Ă  l’écran, hypnotisant la foule. Il Ă©tait dĂ©composĂ© en quatre phases, celles de la Grande Initiative. La première, dĂ©passĂ©e il y a bien longtemps, avait Ă©tĂ© celle du corps charnel, corruptible. La nĂ©cessitĂ© du progrès technique exponentiel avait rĂ©duit ce dernier Ă  nĂ©ant, sans autre forme de procès. Il n’y avait plus de chair, plus de “viande”, comme auraient dit nos pères transhumains. Dans la deuxième phase, Ă©galement achevĂ©e il y a une centaine d’annĂ©es, le cerveau des ĂŞtres humains, ce vaste rĂ©seau de bits qu’on avait longtemps parĂ© de mystère, d’inaccessible, pour rendre la vie animale supportable, put ĂŞtre tĂ©lĂ©chargĂ© en un clic, conservĂ© ad vitam æternam dans de petites puces. Ce tĂ©lĂ©chargement fut tout de mĂŞme quelque chose pour les derniers carnassiers, qui durent passer d’un corps-viande souffrant Ă  l’extase du corps cybernĂ©tique. L’habitude de la souffrance Ă©tait une forme de dĂ©pendance dont il fut au dĂ©part compliquĂ© de dĂ©shabituer les consciences, a fortiori chez les poètes. C’était maintenant bien sĂ»r tout Ă  fait absurde, mais il fallait les comprendre, ces carnassiers, d’avoir voulu lutter et, pour les plus durs Ă  cuire, de s’être donnĂ© la mort dans un geste qu’ils qualifiaient de socratique. Ils n’auront malheureusement jamais Ă©tĂ© les martyrs d’une quelconque religion, leur lutte ne faisant dĂ©sormais aucun sens pour l’unique espèce vivant Ă  ce jour, l’espèce cybernĂ©tique. La troisième phase Ă©tait celle de l’actuel, que les carnassiers avaient fallacieusement appelĂ© “prĂ©sent”. Or il n'y avait pas plus de prĂ©sent qu'il n'y eu d'humains. Seul l’actuel caractĂ©risait la conscience. Le futur lui-mĂŞme, pourtant cher Ă  quelques cerveaux marquants de « l’Histoire, avec sa grande hache », n'existait pas. Il n'y avait plus d'histoire, juste de l’actuel et de rĂ©elles fictions sensorielles nourrissant les Ă©ternitĂ©s individuelles. La loi de Moore avait rendu le futur prĂ©dictible, mesurable, et donc caduc. La seule vĂ©ritable question philosophique qu'il restait Ă  achever, guillotiner - pour employer un terme romantique surannĂ© - Ă©tait celle des formes de l’actuel. C'Ă©tait bien l'objet de la confĂ©rence d'aujourd'hui, prĂŞchĂ©e par BolchoĂŻ-D, que de rĂ©flĂ©chir en rĂ©seau Ă  la dernière phase, de laquelle nous approchions inexorablement. Oui, le point OmĂ©ga Ă©tait proche et nous libĂ©rerait de tout hardware avant que le noyau de la Terre n’explose enfin. « Vous vous demandez tou.te.s quel est l’objet de ce Grand Rassemblement prĂ©cipitĂ©. Vous savez que la dernière phase arrive Ă  grands pas. BientĂ´t, nos consciences seront hĂ©bergĂ©es dans des avatars-hologrammes. Nous pourrons changer d’apparence et d’espace-temps Ă  notre guise… ». Ă€ ce moment-lĂ , BolchoĂŻ-D, ce.tte grand.e blond.e angĂ©lique aux yeux bleus, changea immĂ©diatement d’apparence. La mĂ©tamorphose Ă©tait possible depuis longtemps, mais jamais n’avions-nous pu accomplir ce que BolchoĂŻ-D venait de faire devant nos yeux Ă©bahis. Avant mĂŞme de finir sa phrase, ce corps athlĂ©tique devint spectre, un spectre Ă  la prĂ©sence encore plus puissante, enivrante. Actuellement, c’était comme si les moindres mots prononcĂ©s, les moindres sons Ă©mis par BolchoĂŻ-D transperçaient les confins de notre conscience. « Vous voyez, les expĂ©riences sensorielles dĂ©jĂ  multiples auxquelles nous pouvons nous adonner seront dĂ©sormais ĂŞtre illimitĂ©es. Le vol, la tĂ©lĂ©pathie et l’ubiquitĂ© ne reposeront plus sur des technologies extĂ©rieures, des hardwares. Nous allons très bientĂ´t tou.te.s ĂŞtre ces technologies autopoĂŻĂ©tiques... La vĂ©ritĂ©, c’est que... je vous annonce aujourd’hui l’achèvement de la Grande Initiative ! » Des cris bestiaux stridents, semblables Ă  ceux des alarmes des centres d’achat du dĂ©but du XXIe siècle, traversèrent alors la grande salle. Cette ambiance Ă©trange me donna, pendant un instant, la sensation d’être revenu.e Ă  l’âge que les carnassiers avaient appelĂ© prĂ©-historique. Les sons que nous Ă©mettions tou.te.s Ă©taient les signes d’un dĂ©sir collectif grisant. Ce dĂ©sir Ă©tait sĂ©crĂ©tĂ© par l’algorithme-Sigmund que BolchoĂŻ-D savait particulièrement bien activer en chacun de nous lors de ses apparitions angĂ©liques. Car, bien loin de ce que les pauvres carnassiers avaient prĂ©dit en leur temps, seuls les sentiments n’existaient plus, ces attachements qui fonctionnaient comme des bĂ©quilles entre les ĂŞtres faibles de nature. Les sensations, elles, Ă©taient plus nombreuses que jamais et allaient, semblait-il, franchir aujourd’hui le seuil de l’imaginable. « Nous avons prĂ©parĂ© ce moment depuis des annĂ©es et le voici... EN-FIN ! Vous savez ce qu’il nous reste Ă  faire Ă  mon signal… » BolchoĂŻ-D reprit une apparence de cyberhominidĂ©, leva alors un bras et saisit la nanopuce contenant sa conscience. « Nous allons tous en mĂŞme temps insĂ©rer nos consciences dans la fente OmĂ©ga se trouvant devant nous… PrĂ©parez-vous... 1… 0… 1… 1... 1… 0... ». Ă€ cĂ´tĂ© de BolchoĂŻ-D, Ray ne pouvait contenir sa transe. C’était avant tout ce.tte grand.e savant.e qui avait permis la libĂ©ration des consciences jusqu’à l’OmĂ©ga aujourd’hui. Ille avait su avant tou.te.s, il y a une centaine d’annĂ©es, que les carnassiers Ă©taient vouĂ©s Ă  l’extinction, tandis qu’à son impulsion quelques Ă©lu.e.s crĂ©eraient la nouvelle espèce cybernĂ©tique. En mĂŞme temps que la foule, Ray se saisit de sa nanopuce et l’enfonça lentement dans la fente avec dĂ©lectation, dans un cri continu s’harmonisant Ă  celui de la foule. ***Comment dĂ©crire ce qui a tout l’air de l’éternitĂ© ? Nous sommes tou.te.s un.e, pour toujours, et pourtant perpĂ©tuellement multiples. Des nuages rosĂ©s nous caressent dans des mouvements ondulatoires procurant une jouissance suave au plus profond de nous. Je suis BolchoĂŻ-D, je suis Ray, je suis ce cybird aux battements si lĂ©gers traversant Ă  son tour les nuages, criant par intermittences le chant de l’OmĂ©ga. Je suis le Grand Tout. Nous rĂ©alisons actuellement qu’il n’y a jamais rien eu avant et qu’il n’y aura jamais d’après. Tout Ă©tait projection. Tout est actuelle conscience sensorielle. Les carnassiers ont vĂ©cu pour que nous naissions, pour que BolchoĂŻ-D, Ray et nous soyons uni.e.s par-delĂ  tout hardware . Le software n’est donc mĂŞme plus. Il est juste soft, soft, soft, comme le chant du cybird…
  • +
  • +Agathe François
  • +gid://initial/Decidim::Hashtag/4/_IA
  • +BolchoĂŻ-D entra dans la grande salle de confĂ©rence comme il serait entrĂ© dans un autre espace-temps. Les applaudissements et les cris firent trembler l’image projetĂ©e derrière la scène. L’immense image d’un corps, d’apparence aussi rĂ©elle que BolchoĂŻ-D lui-mĂŞme, aurait pu rĂ©sumer Ă  elle seule la Grande Initiative. Ce corps aux contours plutĂ´t fĂ©minins gravitait Ă  l’écran, hypnotisant la foule. Il Ă©tait dĂ©composĂ© en quatre phases, celles de la Grande Initiative. La première, dĂ©passĂ©e il y a bien longtemps, avait Ă©tĂ© celle du corps charnel, corruptible. La nĂ©cessitĂ© du progrès technique exponentiel avait rĂ©duit ce dernier Ă  nĂ©ant, sans autre forme de procès. Il n’y avait plus de chair, plus de “viande”, comme auraient dit nos pères transhumains. Dans la deuxième phase, Ă©galement achevĂ©e il y a une centaine d’annĂ©es, le cerveau des ĂŞtres humains, ce vaste rĂ©seau de bits qu’on avait longtemps parĂ© de mystère, d’inaccessible, pour rendre la vie animale supportable, put ĂŞtre tĂ©lĂ©chargĂ© en un clic, conservĂ© ad vitam æternam dans de petites puces. Ce tĂ©lĂ©chargement fut tout de mĂŞme quelque chose pour les derniers carnassiers, qui durent passer d’un corps-viande souffrant Ă  l’extase du corps cybernĂ©tique. L’habitude de la souffrance Ă©tait une forme de dĂ©pendance dont il fut au dĂ©part compliquĂ© de dĂ©shabituer les consciences, a fortiori chez les poètes. C’était maintenant bien sĂ»r tout Ă  fait absurde, mais il fallait les comprendre, ces carnassiers, d’avoir voulu lutter et, pour les plus durs Ă  cuire, de s’être donnĂ© la mort dans un geste qu’ils qualifiaient de socratique. Ils n’auront malheureusement jamais Ă©tĂ© les martyrs d’une quelconque religion, leur lutte ne faisant dĂ©sormais aucun sens pour l’unique espèce vivant Ă  ce jour, l’espèce cybernĂ©tique. La troisième phase Ă©tait celle de l’actuel, que les carnassiers avaient fallacieusement appelĂ© “prĂ©sent”. Or il n'y avait pas plus de prĂ©sent qu'il n'y eu d'humains. Seul l’actuel caractĂ©risait la conscience. Le futur lui-mĂŞme, pourtant cher Ă  quelques cerveaux marquants de « l’Histoire, avec sa grande hache », n'existait pas. Il n'y avait plus d'histoire, juste de l’actuel et de rĂ©elles fictions sensorielles nourrissant les Ă©ternitĂ©s individuelles. La loi de Moore avait rendu le futur prĂ©dictible, mesurable, et donc caduc. La seule vĂ©ritable question philosophique qu'il restait Ă  achever, guillotiner - pour employer un terme romantique surannĂ© - Ă©tait celle des formes de l’actuel. C'Ă©tait bien l'objet de la confĂ©rence d'aujourd'hui, prĂŞchĂ©e par BolchoĂŻ-D, que de rĂ©flĂ©chir en rĂ©seau Ă  la dernière phase, de laquelle nous approchions inexorablement. Oui, le point OmĂ©ga Ă©tait proche et nous libĂ©rerait de tout hardware avant que le noyau de la Terre n’explose enfin. « Vous vous demandez tou.te.s quel est l’objet de ce Grand Rassemblement prĂ©cipitĂ©. Vous savez que la dernière phase arrive Ă  grands pas. BientĂ´t, nos consciences seront hĂ©bergĂ©es dans des avatars-hologrammes. Nous pourrons changer d’apparence et d’espace-temps Ă  notre guise… ». Ă€ ce moment-lĂ , BolchoĂŻ-D, ce.tte grand.e blond.e angĂ©lique aux yeux bleus, changea immĂ©diatement d’apparence. La mĂ©tamorphose Ă©tait possible depuis longtemps, mais jamais n’avions-nous pu accomplir ce que BolchoĂŻ-D venait de faire devant nos yeux Ă©bahis. Avant mĂŞme de finir sa phrase, ce corps athlĂ©tique devint spectre, un spectre Ă  la prĂ©sence encore plus puissante, enivrante. Actuellement, c’était comme si les moindres mots prononcĂ©s, les moindres sons Ă©mis par BolchoĂŻ-D transperçaient les confins de notre conscience. « Vous voyez, les expĂ©riences sensorielles dĂ©jĂ  multiples auxquelles nous pouvons nous adonner seront dĂ©sormais ĂŞtre illimitĂ©es. Le vol, la tĂ©lĂ©pathie et l’ubiquitĂ© ne reposeront plus sur des technologies extĂ©rieures, des hardwares. Nous allons très bientĂ´t tou.te.s ĂŞtre ces technologies autopoĂŻĂ©tiques... La vĂ©ritĂ©, c’est que... je vous annonce aujourd’hui l’achèvement de la Grande Initiative ! » Des cris bestiaux stridents, semblables Ă  ceux des alarmes des centres d’achat du dĂ©but du XXIe siècle, traversèrent alors la grande salle. Cette ambiance Ă©trange me donna, pendant un instant, la sensation d’être revenu.e Ă  l’âge que les carnassiers avaient appelĂ© prĂ©-historique. Les sons que nous Ă©mettions tou.te.s Ă©taient les signes d’un dĂ©sir collectif grisant. Ce dĂ©sir Ă©tait sĂ©crĂ©tĂ© par l’algorithme-Sigmund que BolchoĂŻ-D savait particulièrement bien activer en chacun de nous lors de ses apparitions angĂ©liques. Car, bien loin de ce que les pauvres carnassiers avaient prĂ©dit en leur temps, seuls les sentiments n’existaient plus, ces attachements qui fonctionnaient comme des bĂ©quilles entre les ĂŞtres faibles de nature. Les sensations, elles, Ă©taient plus nombreuses que jamais et allaient, semblait-il, franchir aujourd’hui le seuil de l’imaginable. « Nous avons prĂ©parĂ© ce moment depuis des annĂ©es et le voici... EN-FIN ! Vous savez ce qu’il nous reste Ă  faire Ă  mon signal… » BolchoĂŻ-D reprit une apparence de cyberhominidĂ©, leva alors un bras et saisit la nanopuce contenant sa conscience. « Nous allons tous en mĂŞme temps insĂ©rer nos consciences dans la fente OmĂ©ga se trouvant devant nous… PrĂ©parez-vous... 1… 0… 1… 1... 1… 0... ». Ă€ cĂ´tĂ© de BolchoĂŻ-D, Ray ne pouvait contenir sa transe. C’était avant tout ce.tte grand.e savant.e qui avait permis la libĂ©ration des consciences jusqu’à l’OmĂ©ga aujourd’hui. Ille avait su avant tou.te.s, il y a une centaine d’annĂ©es, que les carnassiers Ă©taient vouĂ©s Ă  l’extinction, tandis qu’à son impulsion quelques Ă©lu.e.s crĂ©eraient la nouvelle espèce cybernĂ©tique. En mĂŞme temps que la foule, Ray se saisit de sa nanopuce et l’enfonça lentement dans la fente avec dĂ©lectation, dans un cri continu s’harmonisant Ă  celui de la foule. ***Comment dĂ©crire ce qui a tout l’air de l’éternitĂ© ? Nous sommes tou.te.s un.e, pour toujours, et pourtant perpĂ©tuellement multiples. Des nuages rosĂ©s nous caressent dans des mouvements ondulatoires procurant une jouissance suave au plus profond de nous. Je suis BolchoĂŻ-D, je suis Ray, je suis ce cybird aux battements si lĂ©gers traversant Ă  son tour les nuages, criant par intermittences le chant de l’OmĂ©ga. Je suis le Grand Tout. Nous rĂ©alisons actuellement qu’il n’y a jamais rien eu avant et qu’il n’y aura jamais d’après. Tout Ă©tait projection. Tout est actuelle conscience sensorielle. Les carnassiers ont vĂ©cu pour que nous naissions, pour que BolchoĂŻ-D, Ray et nous soyons uni.e.s par-delĂ  tout hardware . Le software n’est donc mĂŞme plus. Il est juste soft, soft, soft, comme le chant du cybird…
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  • +BolchoĂŻ-D entra dans la grande salle de confĂ©rence comme il serait entrĂ© dans un autre espace-temps. Les applaudissements et les cris firent trembler l’image projetĂ©e derrière la scène. L’immense image d’un corps, d’apparence aussi rĂ©elle que BolchoĂŻ-D lui-mĂŞme, aurait pu rĂ©sumer Ă  elle seule la Grande Initiative. Ce corps aux contours plutĂ´t fĂ©minins gravitait Ă  l’écran, hypnotisant la foule. Il Ă©tait dĂ©composĂ© en quatre phases, celles de la Grande Initiative. La première, dĂ©passĂ©e il y a bien longtemps, avait Ă©tĂ© celle du corps charnel, corruptible. La nĂ©cessitĂ© du progrès technique exponentiel avait rĂ©duit ce dernier Ă  nĂ©ant, sans autre forme de procès. Il n’y avait plus de chair, plus de “viande”, comme auraient dit nos pères transhumains. Dans la deuxième phase, Ă©galement achevĂ©e il y a une centaine d’annĂ©es, le cerveau des ĂŞtres humains, ce vaste rĂ©seau de bits qu’on avait longtemps parĂ© de mystère, d’inaccessible, pour rendre la vie animale supportable, put ĂŞtre tĂ©lĂ©chargĂ© en un clic, conservĂ© ad vitam æternam dans de petites puces. Ce tĂ©lĂ©chargement fut tout de mĂŞme quelque chose pour les derniers carnassiers, qui durent passer d’un corps-viande souffrant Ă  l’extase du corps cybernĂ©tique. L’habitude de la souffrance Ă©tait une forme de dĂ©pendance dont il fut au dĂ©part compliquĂ© de dĂ©shabituer les consciences, a fortiori chez les poètes. C’était maintenant bien sĂ»r tout Ă  fait absurde, mais il fallait les comprendre, ces carnassiers, d’avoir voulu lutter et, pour les plus durs Ă  cuire, de s’être donnĂ© la mort dans un geste qu’ils qualifiaient de socratique. Ils n’auront malheureusement jamais Ă©tĂ© les martyrs d’une quelconque religion, leur lutte ne faisant dĂ©sormais aucun sens pour l’unique espèce vivant Ă  ce jour, l’espèce cybernĂ©tique. La troisième phase Ă©tait celle de l’actuel, que les carnassiers avaient fallacieusement appelĂ© “prĂ©sent”. Or il n'y avait pas plus de prĂ©sent qu'il n'y eu d'humains. Seul l’actuel caractĂ©risait la conscience. Le futur lui-mĂŞme, pourtant cher Ă  quelques cerveaux marquants de « l’Histoire, avec sa grande hache », n'existait pas. Il n'y avait plus d'histoire, juste de l’actuel et de rĂ©elles fictions sensorielles nourrissant les Ă©ternitĂ©s individuelles. La loi de Moore avait rendu le futur prĂ©dictible, mesurable, et donc caduc. La seule vĂ©ritable question philosophique qu'il restait Ă  achever, guillotiner - pour employer un terme romantique surannĂ© - Ă©tait celle des formes de l’actuel. C'Ă©tait bien l'objet de la confĂ©rence d'aujourd'hui, prĂŞchĂ©e par BolchoĂŻ-D, que de rĂ©flĂ©chir en rĂ©seau Ă  la dernière phase, de laquelle nous approchions inexorablement. Oui, le point OmĂ©ga Ă©tait proche et nous libĂ©rerait de tout hardware avant que le noyau de la Terre n’explose enfin. « Vous vous demandez tou.te.s quel est l’objet de ce Grand Rassemblement prĂ©cipitĂ©. Vous savez que la dernière phase arrive Ă  grands pas. BientĂ´t, nos consciences seront hĂ©bergĂ©es dans des avatars-hologrammes. Nous pourrons changer d’apparence et d’espace-temps Ă  notre guise… ». Ă€ ce moment-lĂ , BolchoĂŻ-D, ce.tte grand.e blond.e angĂ©lique aux yeux bleus, changea immĂ©diatement d’apparence. La mĂ©tamorphose Ă©tait possible depuis longtemps, mais jamais n’avions-nous pu accomplir ce que BolchoĂŻ-D venait de faire devant nos yeux Ă©bahis. Avant mĂŞme de finir sa phrase, ce corps athlĂ©tique devint spectre, un spectre Ă  la prĂ©sence encore plus puissante, enivrante. Actuellement, c’était comme si les moindres mots prononcĂ©s, les moindres sons Ă©mis par BolchoĂŻ-D transperçaient les confins de notre conscience. « Vous voyez, les expĂ©riences sensorielles dĂ©jĂ  multiples auxquelles nous pouvons nous adonner seront dĂ©sormais ĂŞtre illimitĂ©es. Le vol, la tĂ©lĂ©pathie et l’ubiquitĂ© ne reposeront plus sur des technologies extĂ©rieures, des hardwares. Nous allons très bientĂ´t tou.te.s ĂŞtre ces technologies autopoĂŻĂ©tiques... La vĂ©ritĂ©, c’est que... je vous annonce aujourd’hui l’achèvement de la Grande Initiative ! » Des cris bestiaux stridents, semblables Ă  ceux des alarmes des centres d’achat du dĂ©but du XXIe siècle, traversèrent alors la grande salle. Cette ambiance Ă©trange me donna, pendant un instant, la sensation d’être revenu.e Ă  l’âge que les carnassiers avaient appelĂ© prĂ©-historique. Les sons que nous Ă©mettions tou.te.s Ă©taient les signes d’un dĂ©sir collectif grisant. Ce dĂ©sir Ă©tait sĂ©crĂ©tĂ© par l’algorithme-Sigmund que BolchoĂŻ-D savait particulièrement bien activer en chacun de nous lors de ses apparitions angĂ©liques. Car, bien loin de ce que les pauvres carnassiers avaient prĂ©dit en leur temps, seuls les sentiments n’existaient plus, ces attachements qui fonctionnaient comme des bĂ©quilles entre les ĂŞtres faibles de nature. Les sensations, elles, Ă©taient plus nombreuses que jamais et allaient, semblait-il, franchir aujourd’hui le seuil de l’imaginable. « Nous avons prĂ©parĂ© ce moment depuis des annĂ©es et le voici... EN-FIN ! Vous savez ce qu’il nous reste Ă  faire Ă  mon signal… » BolchoĂŻ-D reprit une apparence de cyberhominidĂ©, leva alors un bras et saisit la nanopuce contenant sa conscience. « Nous allons tous en mĂŞme temps insĂ©rer nos consciences dans la fente OmĂ©ga se trouvant devant nous… PrĂ©parez-vous... 1… 0… 1… 1... 1… 0... ». Ă€ cĂ´tĂ© de BolchoĂŻ-D, Ray ne pouvait contenir sa transe. C’était avant tout ce.tte grand.e savant.e qui avait permis la libĂ©ration des consciences jusqu’à l’OmĂ©ga aujourd’hui. Ille avait su avant tou.te.s, il y a une centaine d’annĂ©es, que les carnassiers Ă©taient vouĂ©s Ă  l’extinction, tandis qu’à son impulsion quelques Ă©lu.e.s crĂ©eraient la nouvelle espèce cybernĂ©tique. En mĂŞme temps que la foule, Ray se saisit de sa nanopuce et l’enfonça lentement dans la fente avec dĂ©lectation, dans un cri continu s’harmonisant Ă  celui de la foule. ***Comment dĂ©crire ce qui a tout l’air de l’éternitĂ© ? Nous sommes tou.te.s un.e, pour toujours, et pourtant perpĂ©tuellement multiples. Des nuages rosĂ©s nous caressent dans des mouvements ondulatoires procurant une jouissance suave au plus profond de nous. Je suis BolchoĂŻ-D, je suis Ray, je suis ce cybird aux battements si lĂ©gers traversant Ă  son tour les nuages, criant par intermittences le chant de l’OmĂ©ga. Je suis le Grand Tout. Nous rĂ©alisons actuellement qu’il n’y a jamais rien eu avant et qu’il n’y aura jamais d’après. Tout Ă©tait projection. Tout est actuelle conscience sensorielle. Les carnassiers ont vĂ©cu pour que nous naissions, pour que BolchoĂŻ-D, Ray et nous soyons uni.e.s par-delĂ  tout hardware . Le software n’est donc mĂŞme plus. Il est juste soft, soft, soft, comme le chant du cybird…
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Auteur de la version
author-avatar Samuel Capitant
Version créée le 16/12/2021 09:56