La gouvernance de l'IA

#IA Construire ensemble un futur positif

Étape 3 sur 3
Publication 15/07/2021 - 15/12/2022
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Bovary de Flaubert en 2050

16/12/2021 09:08  

15 janvier 2050, je suis paisiblement chez moi en train de lire Flaubert dans le canapé et je m’ennuie à mourir.

– Quelle pauvre femme cette Bovary ! Elle ne fait rien, elle a aucun but dans sa vie. Pourquoi la prof nous donne ça à lire ? Poubelle ! J’envoie valser la liseuse et l’appareil atterrit sur la table de verre avec un bruit dur. Dans le salon, Papa peut m’apercevoir du coin de l’œil et mon geste ne lui a pas échappé.

– Hé ! crie-t-il en se levant. Tu veux être punie ? Il vient ramasser la liseuse et vérifie qu’elle n’est pas cassée.

– Ça va, ça va. Désolée.

Il me tend la liseuse avec un regard courroucé :

– C’est à lire pour lundi, c’est ça ? Tu arrêtes tes caprices et tu finis !

– J’en ai marre ! réponds-je du tac au tac.

J’ai l’impression que Papa va se mettre à hurler. Mais il serre les dents, prend une grande inspiration et semble réfléchir. Après un instant, il dit :

– Ce n’est pas moi qui risque de te convaincre de lire ces machins… Demande à ton IA, elle aura peut-être quelque chose pour t’aider.

Avec résignation, j’appuie en haut à droite de l’écran, sur l’icône « Lya Suggestions ». Juste à côté, une petite icône de haut-parleur me tente... Papa est en train de se rasseoir face à sa tablette et je sais que le son va le déranger... J’appuie. L’icône « Lya Suggestions » se met à pulser au rythme des mots qui émanent de la liseuse :

– Bonjour Ellen. Est-ce que la lecture de Madame Bovary te semble problématique ?

Je pouffe aussi discrètement que possible en voyant Papa lever les yeux au ciel. Pour éviter qu’il ne s’énerve vraiment, je réponds vite à voix basse à la machine :

– Ouais ! Comment on peut écrire des pages et des pages sur une femme qui n’a pas de vie ? Et puis d’abord mes copines m’ont dit que c’était nul.

Le texte du roman disparait de l’écran pour être remplacé par une liste de vignettes, que Lya commente pour moi :

– Après analyse de ton problème et de ton émotion, j’ai assemblé une sélection d’œuvres culturelles abordant le sujet sous un autre angle. Dis-moi si l’une te tente : une critique radio du livre par Marc Lucien qui, tout comme toi, a détesté ce livre ; une vidéo de tes vacances de l’été 2049, filmée par ton père ; un extrait d’adaptation cinématographique avec Isabelle Huppert dans...

– Marc Lucien ! Marc Lucien ! Celui qui a détesté !

La vidéo montre un universitaire en short et lunettes fluorescentes, installé devant un gros micro dans une petite salle rouge molletonnée. Il est lancé en plein discours :

– Flaubert est un auteur exécrable ! Un bourgeois visqueux qui se paie de mots sans avoir rien à partager avec ses lecteurs sinon son propre ennui et son dégoût du monde ! Je ris de bon cœur, ravie :

– Ben dit donc, ça casse dur !

– Il ne s’adressait qu’à son cercle bourgeois ! continue la vidéo. Alors oui, il a cerné l’âme humaine avec une grande finesse, mais comment s’attendre à ce qu’une personne de notre époque, efficace et intelligente, prenne la peine de lire ce torchon déstructuré ?

– Ahah, génial ! Mais alors c’est quoi le message de cette « œuvre » ?

Lya revient Ă  la liste de ses suggestions.

– Peut être que voir Madame Bovary jouée par Isabelle Huppert te donnera plus d’éléments de réponses ?

Cette fichue IA tournait en boucle. Qu’est-ce qu’elles peuvent être bêtes ces machines !

– Arrête avec ton film ! Montre-moi la vidéo des vacances.

– D’accord. Peux-tu appuyer sur la miniature de la vidéo ? J’ai besoin d’une confirmation d’empreinte digitale pour avoir le droit de diffuser une vidéo que j’ai trouvée dans vos archives familiales.

J’appuie sur l’écran tactile, et après un instant la vidéo se lance. Papa revient vers moi, l’air blasé mais curieux de savoir quelle vidéo Lya a choisi. L’image montre un chalet montagnard sous un soleil d’été, le plancher du devant parsemé d’aiguilles de pin. Papa reconnaît la scène :

– C’était nos vacances déconnectées à Chamonix. Tu te souviens ?

Je hausse les épaules. La caméra tourne et la scène me revient, Papa me filmait avec son mobile. Je suis affalée dans une chaise à bascule, renfrognée :

– Papa, arrête de filmer ! J’en ai marre, y a rien à faire, je veux rentrer en ville ! Y a rien ici, y a même pas de connexion pour discuter avec mes copines ! Le Papa de la vidéo lui répond d’être patiente et de profiter de la nature. On me voit prendre un livre et le feuilleter distraitement. À cet instant, un encart de texte apparaît en bas de la vidéo et la voix de Lya s’élève par-dessus pour le lire : « Emma était derrière sa fenêtre. Tout ce qui l’entourait immédiatement, campagne ennuyeuse, petits bourgeois imbéciles, médiocrité de l’existence, lui semblait une exception dans le monde, un hasard particulier où elle se trouvait prise, tandis qu’au-delà s’étendait à perte de vue l’immense pays des félicités et des passions. » Je reste pensive. C’est drôle comme idée, un bouquin ennuyeux qui parle de s’ennuyer… Même la phrase à l’air de traîner mollement. Sur la liseuse, les miniatures réapparaissent. Cette fois, je parcours rapidement leurs légendes.

– Lya, c’est quoi le dernier truc que t’as mis en suggestion ? Celui avec la plume. La voix de l’IA me répond, paisible :

– J’ai pensé que tu aurais peut-être envie d’écrire ta propre suite à cette histoire ?

Harmony, Emmanuelle, Frank et Fabien.
#IA

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